Magnum Génération(s)
“Si vos photos ne sont pas assez bonnes, c’est que vous n’êtes pas assez près.”
Robert Capa
A l’occasion du 75e anniversaire de Magnum Photos, la célèbre agence et les éditions Caurette publient un récit graphique mêlant bande dessinée et photographie
Magnum génération(s) est un ouvrage qui raconte la genèse et les premiers temps des aventures de Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, George Rodger et David Seymour, des photojournalistes qui se sont associés pour prendre librement et dignement leur part, éclatante, à la documentation et au témoignage du présent.
Les 185 pages de bande dessinée illustrent des rencontres et d’intenses amitiés entre des trajectoires puissamment évocatrices de la première moitié du vingtième siècle. D’un côté, de sublimes et courageux élans de liberté et de justice ; de l’autre, un vieux monde arc-bouté sur des régimes violents, autoritaires, totalitaires et génocidaires. Les nombreuses reproductions de clichés nous donnent à voir cette séquence, saisie dans le vif des événements, à même les corps, les choses et les paysages, telle que les pionniers de l’agence Magnum la regardaient, la discutaient, l’affrontaient et l’exposaient ensemble à tous les regards soucieux de leur temps. Les photos choisies peuvent être violentes, tendres, drôles ou intimes, mais toujours nécessaires : elles rendent encore, chacune à sa manière et dans son registre, les vibrations et la texture d’un monde qui a encore tant à voir avec le nôtre.
Une bande dessinée, mais pas que !
S’il y a bien une chose que montre le portfolio de 73 photos qui suit la bande dessinée, c’est que, de 1936, quand l’objectif de Robert Capa fige pour l’éternité la dignité d’un républicain mortellement touché par une balle dans l’Espagne en révolution, à 2022, quand Emin Özmen photographie des enfants turcs jouant sur le toit d’une mosquée presque immergée, une complicité secrète lie les corps de tous les pays et de toutes les générations lorsqu’ils jouent, se révoltent, s’embrassent, s’aiment et rient. Bref, lorsque, de l’ici et maintenant où ils se tiennent, ils font et révèlent le cours de l’histoire.
L’ouvrage se conclut par un dossier de 14 pages dans lequel Clara Bouveresse propose une histoire de l’agence, enthousiaste mais sans complaisance, depuis sa création jusqu’à nos jours. On y découvre sa tentative permanente de dépasser ses limites et ses contradictions importantes, les discussions et même les conflits qui l’animent parfois, ainsi que l’évolution de ses principes et de son organisation.
À propos des auteurs
De gauche à droite : Jean-Christophe Caurette (éditeur), Hiroyuki Ooshima (couleur), Éloïse de la Maison (documentation), Jean-David Morvan (scénario), Rafaël Ortiz (dessin), Steren (couleur), Arnaud Locquet (dessin), ScieTronc (dessin).
Magnum Génération(s) est un projet qui a été initié par le scénariste Jean-David MORVAN à qui on doit déjà plusieurs ouvrages mélangeant habilement bande dessinée et photographie et réalisés avec de grands noms comme les photographes Steve McCurry ou Abbas, et des dessinateurs internationaux tels que le coréen Kim Jung Gi ou l’argentin Rafaël Ortiz.
Passionné de photographie, il a su rendre toute l’intensité et l’émotion des premières années de l’agence Magnum tout en emportant ses lecteurs à un rythme soutenu pour les guider (sans jamais tomber dans un travers didactique) à travers les soubresauts du XXe siècle.
Au dessin, on retrouve des habitués des cases : Arnaud Locquet, ScieTronc et Rafaël Ortiz, et aux couleurs, Hiroyuki Ooshima, assisté de Steren, Séverine Tréfouël, Bruno Furlani et Adèle Martin.
Il y a encore plein de gens qui ont travaillé dessus, et ils sont tous cités dans le livre (achetez-le, il est très bien !)
Entretien avec Jean-David Morvan, scénariste
Quelle est la genèse du projet Magnum Génération(s) ? Pourquoi s’être lancé dans une pareille entreprise ?
Nous avions l’idée de raconter la naissance de l’agence depuis longtemps, mais ce projet nécessitait énormément de connaissances et de documentation. Cela m’a pris beaucoup plus de temps à réaliser que prévu, notamment par la masse de sources à recouper. En plus de la documentation disponible en France, j’ai eu besoin de me référer à des livres américains, anglais, espagnols, italiens, allemands…
Pourquoi est-ce important de raconter la création de Magnum aujourd’hui ?
La réponse à cette question tient dans le titre même de la BD : « Génération(s) ». Nous y parlons de la première génération de photographes Magnum bien sûr, mais aussi de toutes les suivantes, ces reporters de guerre qui ont forgé notre connaissance du monde depuis toutes ces années. À ce titre, on peut affirmer que nous-mêmes, collectivement, nous sommes la génération Magnum. Le XXe siècle a commencé avec la Première Guerre mondiale, mais nos problématiques contemporaines sont directement issues de la montée du fascisme en Europe qui a débouché sur la guerre civile espagnole, elle-même grande répétition à balles réelles de la Seconde Guerre mondiale. Or, c’est précisément pendant cette guerre que Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, Gerda Taro, George Rodger et David « Chim » Seymour ont fait leurs grands débuts.
Quelle a été l’implication de l’agence Magnum et de ses membres dans ce projet ?
Elle a été totale : il aurait été impossible de réaliser cette histoire sans eux, d’autant que nous avons intégré des photographies à la narration BD. Aussi bien le fond de documentation Magnum que les équipes de Magnum Paris, Londres et New York ont été indispensables au travail au jour le jour sur le livre.
Pourquoi avoir choisi de revenir sur le parcours de ses fondateurs pour raconter l’agence ?
Seul l’esprit des fondateurs permet de comprendre ce qu’est Magnum Photos aujourd’hui. À l’origine, cette coopérative de photographes a tout fait pour se libérer des journaux qui les exploitaient. Avant Magnum Photos, ils étaient payés pour aller sur les terrains choisis par les rédacteurs en chef. Leurs photos étaient sélectionnées, recadrées, découpées, retournées même parfois par les journaux, et les reporters de guerre n’avaient aucun droit de regard sur le rendu final. Les légendes étaient trop souvent différentes de ce qu’ils avaient constaté sur le terrain. Ces photographes ont décidé de s’affranchir des diktats des rédactions et c’est dans cet esprit que les photographes qui les ont suivi ont travaillé et travaillent encore de nos jours.
Capa occupe une place assez centrale dans le récit, avec Gerda. Si elle a également été une grande photographe, elle n’est toutefois pas historiquement considérée comme une fondatrice…
Parmi les fondateurs de Magnum, ne figure pas Gerda Taro, tout simplement parce qu’elle est morte en 1937 et que l’agence a été fondée en 1947. Mais c’est avec elle que Robert Capa, Henri Cartier-Bresson et Chim ont commencé à élaborer un concept d’agence créée et gérée par les photographes. On ne peut pas refaire l’histoire mais il est tout de même probable que sans Gerda Taro, les choses auraient été différentes. À commencer par le fait que sans elle, Robert Capa ne se serait pas appelé Robert Capa. Elle réfléchissait de façon stratégique.
Quelle place cet album occupe-t-il dans le travail d’histoire et de mémoire que vous avez entrepris depuis quelques années autour de cette période charnière de l’entre-deux-guerres, de la Seconde Guerre mondiale et de l’immédiat après-guerre ?
Une place centrale puisque c’est celle de l’information contre la propagande. À une époque sans télévision ni internet, les photoreporters étaient les seuls témoins visuels de l’état du monde. Ils allaient chercher la vérité à la source, prenant tous les risques, dans le but de la faire circuler dans le monde entier : et ça a fonctionné ! Dans le cas de Madeleine Riffaud (Madeleine, Résistante, série que je scénarise aux Éditions Dupuis), on apprend que c’est en voyant les photos de Robert Capa et Gerda Taro dans la presse que la jeune Madeleine a pris conscience de ce qu’était la guerre, et en particulier la guerre d’Espagne. Et qu’il allait falloir combattre le nazisme, qui prenait de l’ampleur. Cela a pesé, en particulier dans son engagement dans la Résistance et en général dans son caractère, qui reste le même aujourd’hui, à 98 ans. Quand je vous disais au début que nous étions tous de la génération Magnum…
Pourquoi cette attention portée à cette période ?
C’est un peu un lieu commun, mais on ne peut pas comprendre le présent si on ne connaît pas bien l’Histoire. Pour moi, c’est une manière d’appréhender le monde dans lequel je vis, et faire une bande dessinée, c’est la manière la plus simple de réfléchir à un sujet, parce que je peux le décortiquer en en faisant une histoire. Mais ça ne suffit pas : dans Irena, Madeleine, Simone, comme dans mes autres albums, j’essaie de faire vivre les personnages dans leurs époques. Je raconte une histoire à travers leurs expériences et leurs émotions. Il ne faut pas que le lecteur ait l’impression de lire un livre didactique. Pourtant, quand il referme la BD, il a appris beaucoup de choses. Mon boulot, c’est de récupérer une masse énorme d’informations complexes et de les restituer d’une manière simple, accessible, claire, et qui ouvre vers d’autres livres ou supports traitant du même sujet, si le lecteur le souhaite.
Si ça vous a plus, lisez une autre interview super intéressante sur le métier de scénariste par JD Morvan sur TouteLaCulture.com (Mars 2023)
En bonus, si vous souhaitez en découvrir plus sur les auteurs, une petite vidéo de 5 minutes :
Et en chiffres, ça donne quoi alors ?
- 248 pages
- 218 x 280 mm
- Couleur, couverture cartonnée
- ISBN 978-2-38289-028-8
- Date de sortie : 2 novembre 2022
- Prix de vente : 29,90 €
(soit 21,36 €/kg, si, si !)
Disponibilité
L’album est disponible sur notre boutique en ligne LiberDistri
et dans tout pleiiin de bonnes librairies !